Admirable Yury Boukoff

Comme dans la hiérarchie des restaurants, il y’a des pianistes de « grande tradition ». Yury Boukoff est l’un de ceux-là, avec toutes les qualités aussi éminentes que rassurantes que cela peut représenter.

Cela suppose d’abord une scrupuleuse honnêteté vis-à-vis du texte, un sens exact de l’équilibre sonore, ainsi qu’un farouche respect de l’esprit des œuvres, sans parler, bien entendu, de cette technique à toute épreuve sans laquelle l’interprète ne peut exprimer ce qu’il a à dire. Tout cela, Yury Boukoff le possède au plus haut point.

Nous nous en sommes une fois de plus rendu compte lors du récital qu’il vient de donner à Cannes, à l’occasion du Festival international de musique classique, où il remplaçait au pied levé l’insaisissable Alexis Weissenberg. Pour en rester aux comparaisons culinaires, Yury Boukoff nous a proposé un programme admirablement imaginé, qui mettait en valeur tous les aspects de son talent.

Pour ouvrir le feu, une belle, solide et rigoureuse Chaconne de Bach-Busoni, dans laquelle tous les plans sonores s’étageaient en un lumineux contrepoint. Ce furent ensuite les trois intermezzi de l’opus 17 de Brahms. Dosant avec subtilité ce qu’il y’a de romantique et ce qui reste classique dans ces pages, Youri Boukoff y fir montre d’une pudeur discrète et tranquille qui faisait mouche à tous les coups (admirable Intermezzo n°2 en si bémol mineur).

Le jeune Beethoven de la Deuxième Sonate opus 10 en fa majeur bénéficia, quant à lui, d’une interprétation claire et saine, parfaitement en accord avec cette période où le compositeur avait encore un langage bien ancré dans le XVIII° siècle.Peut-être aurai-je souhaité un tempo un peu moins rapides dans le premier mouvement : mais ce n’est là qu’un détail.

On sait que les Tableaux d’une exposition de Moussorgski sont depuis toujours le cheval de bataille favori de Youri Boukoff. Il nous en a donné une exécution de référence, comme épurée, somptueusement sonore, d’une extrême variété, sensible et émouvante, colorée et brillante, dans laquelle il put à loisir utiliser enfin toutes les ressources de notre piano actuel.

Un bien beau concert.

Pierre-Petit
Mercredi 17 février 1993

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